Trois
Le campus du Laboratoire national de Blind Lake, ses bureaux scientifiques et administratifs tout comme ses magasins de détail et de fournitures avaient été construits sur la pente presque imperceptible d’une ancienne moraine glaciaire. Vu d’avion, il ressemblait à n’importe quelle communauté suburbaine de construction récente, mais isolée, desservie par une unique route à deux voies. Au centre, près d’un ensemble partiellement clos formant la zone commerçante, se dressait un anneau de dix étages de bâtiments en béton, Hubble Plaza, où s’effectuait le travail d’interprétation de Blind Lake. Hubble Plaza, avec ses étroites fenêtres en écusson et son parc herbeux clos, était le cerveau des installations. Installations dont le cœur se trouvait à un kilomètre et demi à l’est de la ville habitée, dans une structure souterraine d’où deux énormes tours de refroidissement montaient dans l’air frais de l’automne.
Cette construction – l’Ensemble computationnel de Blind Lake – était appelée la plupart du temps Allée de l’Observatoire, ou l’Allée, voire tout simplement l’Œil.
Charlie Grogan y était ingénieur en chef depuis la mise en service, cinq ans auparavant. Ce soir-là, il travaillait tard, si on pouvait appeler « travailler tard » son habitude de rester bien après le départ de l’équipe de jour. Il y avait, bien entendu, une équipe de nuit, placée sous les ordres d’un ingénieur (Anne Costigan, dont il avait appris à respecter les compétences). Mais c’était précisément parce qu’il pouvait relâcher sa vigilance officielle qu’il trouvait ces heures supplémentaires si attirantes. Il pouvait rattraper son retard de paperasse sans risquer une interruption. Mieux, il pouvait descendre dans les salles de matériel, ou même dans la galerie O/BEC, traîner avec les types qui mettaient les mains dans le cambouis sans que sa présence ait le moindre caractère officiel. Il aimait passer du temps dans les rouages.
Il finit de remplir un formulaire de réquisition, ordonna à son serveur de le transmettre le lendemain matin et jeta un coup d’œil à sa montre : neuf heures moins dix. Les gars dans les piles avaient le droit à une pause. Charlie se promit de ne faire qu’y passer avant de rentrer nourrir Boomer, son vieux chien, regarder peut-être quelques téléchargements et se coucher. Le cycle éternel.
Il sortit de son bureau et s’enfonça de deux étages en ascenseur dans le sous-sol. L’Allée était calme, la nuit. Il ne croisa personne dans les couloirs vert glauque du niveau inférieur. Il n’entendit que le bruit de ses pas et le transpondeur intégré à son badge d’identification qui bipait lorsqu’il entrait dans une zone réglementée. Les portes chromées avaient la mauvaise idée de lui rappeler son âge – quarante-huit ans depuis janvier – en lui montrant la courbe de plus en plus prononcée de sa colonne vertébrale et la bedaine qui gonflait au-dessus de sa ceinture. Sa frange de cheveux gris ressortait sur sa peau sombre. Il était le fils d’un Anglais à la peau claire emporté vingt ans plus tôt par un cancer et d’une immigrante soudanaise spécialiste du soufisme qui ne lui avait pas survécu un an. Plus le temps passait, et plus Charlie ressemblait à son père.
Il fit un détour par la galerie O/BEC – même si le mot « détour » pouvait sembler aussi peu approprié que « rester tard ». Il avait l’habitude de s’y arrêter lors de ses promenades nocturnes.
On avait construit la galerie comme une salle d’opération, mais sans les sièges pour les étudiants : un couloir carrelé en forme d’anneau pourvu, sur le périmètre intérieur, de nombreuses parois vitrées étanches donnant sur une salle circulaire de douze mètres de profondeur. Au fond de celle-ci, alimentés par des colonnes de gaz sous-refroidis et un faisceau de conduits de lumière et de dispositifs de surveillance, les trois énormes cylindres O/BEC contenant, dans un bain d’hélium à moins 268°C, rangée sur rangée de tranches d’arséniure de gallium d’une minceur microscopique.
Charlie, ingénieur et non physicien, pouvait maintenir les machines qui faisaient fonctionner les cylindres, mais sa compréhension du processus fondamental mis en œuvre n’était au mieux que partielle. Un « Bose-Einstein Condensate » – un condensât de Bose-Einstein – était un état de la matière extrêmement ordonné, et les BEC produisaient des particules électroniques liées appelées « excitons », qui fonctionnaient comme des portes quantiques pour former un ordinateur d’une rapidité et d’une subtilité absurdes. Au-delà de ce brouillon digne du Reader’s Digest, c’était l’affaire des jeunes théoriciens ou des étudiants de troisième cycle sérieux et peu sociables qui se baladaient dans l’Allée comme dans une station balnéaire. Charlie avait un boulot plus terre à terre : il devait se débrouiller pour que tout fonctionne et reste à basse température, pour que les E/S se déroulent en douceur, et pour s’occuper des petits problèmes avant qu’ils ne deviennent grands.
Ce soir-là, quatre employés de la maintenance en combinaison stérile travaillaient en bas dans la plomberie, sans doute Stitch et Chavez avec les nouveaux des labos de Berkeley. Un personnel plus nombreux qu’à l’ordinaire… Il se demanda si Anne Costigan avait ordonné des interventions non planifiées.
Il fit le tour de la galerie puis suivit un autre couloir longeant les labos de physique de l’état solide pour aboutir à la salle de contrôle des données. Dès qu’il en franchit le seuil, Charlie sut qu’il se passait quelque chose.
Personne ne faisait de pause. Les cinq ingénieurs de l’équipe de nuit se trouvaient tous à leur poste et consultaient avec frénésie des rapports d’activité système. Seul Chip McCullough leva les yeux à l’entrée de Charlie, et ce ne fut que pour lui adresser un hochement de tête morose. Dire qu’il ne s’était écoulé que quelques heures depuis la fin officielle de sa journée de travail…
Anne Costigan se trouvait là, elle aussi. Elle leva les yeux de son moniteur portable, aperçut Charlie sur le seuil, leva le doigt pour interrompre le superviseur adjoint – une seconde – et s’avança. C’est ce que Charlie appréciait chez elle : l’économie de ses mouvements, la circonspection du moindre de ses gestes. « Bon Dieu, Charlie, tu ne dors donc jamais ?
— Je partais.
— En passant par les piles ?
— Je suis venu boire un café, en fait. Mais vous avez l’air occupés.
— On a eu un gros pic dans les E/S il y a une heure.
— Un pic d’énergie ?
— Non, un pic d’activité. Le standard téléphonique s’est illuminé, si tu vois ce que je veux dire. Comme si quelqu’un avait filé des amphétamines à l’Œil.
— Ça arrive, dit Charlie. Souviens-toi, l’hiver dernier…
— Celui-là est un peu inhabituel. Il s’est calmé, mais on est en train de procéder à un contrôle général des systèmes.
— Il produit toujours des données ?
— Oh, ouais, c’était rien de vilain, juste un hoquet, mais… tu comprends. »
Il comprenait. L’Œil et tous ses systèmes interconnectés planaient en permanence aux frontières du chaos. Comme un animal sauvage auquel on vient de mettre le harnais, l’Œil avait moins besoin de maintenance que de toilettage et de réconfort. Dans sa complexité et son imprévisibilité, il ressemblait beaucoup à un être vivant. Ceux qui comprenaient cela – et Anne en faisait partie – avaient appris à ne pas négliger les petits détails.
« Tu veux rester donner un coup de main ? »
Oui, mais Anne n’avait pas besoin de lui et il ne ferait que la gêner. « J’ai mon chien à nourrir.
— Salue Boomer de ma part. » De toute évidence, elle avait hâte de se remettre au travail.
« Sans faute. Besoin de quelque chose ?
— Non, à moins que tu n’aies un téléphone en trop. Abe est reparti sur la côte. » Abe, son consultant financier de mari, ne venait peut-être qu’un mois sur trois à Blind Lake. Un mariage mouvementé. « Les appels locaux passent sans problème, mais je n’arrive pas à obtenir L.A., je ne sais pas pourquoi.
— Tu veux que je te prête le mien ?
— Pas vraiment, en fait, j’ai déjà essayé celui de Tommy Gupta sans plus de succès. Un problème de satellite, j’imagine. »
Bizarre, songea Charlie, comme tout semble s’être mis un peu à clocher, ce soir.
Pour la cinquième fois en moins d’une heure, Sue Sampel informa son patron qu’elle n’avait pas pu lui obtenir le ministère de l’Énergie au téléphone. Chaque fois, Ray la regardait comme si elle avait elle-même bousillé le système.
Elle avait depuis longtemps dépassé son horaire normal de fin de journée, comme tout le monde, semblait-il, dans Hubble Plaza. Il se passait quelque chose. Sue n’arrivait pas à comprendre quoi. Elle avait beau être l’assistante personnelle de Ray Scutter, celui-ci, une fois de plus, n’avait pas partagé la moindre information avec elle. Elle savait juste qu’il voulait parler avec Washington et que les télécoms ne coopéraient pas.
De toute évidence, Sue n’y était pour rien – elle savait composer un numéro, pour l’amour du ciel –, mais cela n’empêchait pas Ray de la menacer du regard chaque fois qu’il lui demandait d’appeler. Et Ray Scutter avait un regard de tueur. De grands yeux aux minuscules pupilles, des sourcils broussailleux, des taches grises dans son bouc… elle avait pensé à un moment qu’il aurait pu être beau, sans son menton fuyant et ses joues un peu bouffies. Mais elle avait changé d’avis depuis. Comment disait le proverbe, déjà ? L’habit ne fait pas le moine. Ray n’avait que l’habit.
Il se détourna du poste de travail de Sue et rentra dans son bureau. « Bien entendu, grommela-t-il par-dessus son épaule, ça finira par me retomber dessus d’une manière ou d’une autre. »
O3, pensa Sue avec lassitude. C’était devenu son mantra depuis quelques mois, depuis qu’elle travaillait pour Ray Scutter. O3, pour Ouais, ouais, ouais. Ray était entouré d’incompétents. Ignoré par les chercheurs. Sans cesse contrecarré. Ouais, ouais, ouais.
Pour faire bonne mesure, elle tenta une fois encore de joindre Washington. Le téléphone afficha un message d’erreur : SERVEUR INDISPONIBLE. Le même message apparaissait à chaque connexion téléphonique, vidéo ou réseau hors de la boucle locale de Blind Lake. Le seul appel qui avait pu sortir était celui passé par Ray chez lui, en ville, pour informer sa fille de son retard. Tous les autres avaient été entrants : Sécurité, Bureau du personnel, plus la liaison militaire.
Un peu moins fatiguée, Sue se serait peut-être inquiétée. Mais il ne devait s’agir que d’un incident mineur. Pour le moment, tout ce qu’elle voulait était regagner son appartement et ôter ses chaussures. Réchauffer son dîner au micro-ondes. Fumer un joint.
Le terminal bourdonna à nouveau – d’après l’affichage, un appel d’Ari Weingart, du département Publicité et Relations publiques. Elle décrocha : « En quoi puis-je vous être utile, Ari ?
— Votre chef est dans le coin ?
— Oui, mais il n’a pas vraiment envie qu’on le dérange. C’est urgent ?
— Eh bien, en quelque sorte. J’ai là trois journalistes que je ne sais pas où loger.
— Réservez-leur donc une chambre dans un motel.
— Très drôle. Ils sont en visite pour trois semaines.
— Personne ne l’avait indiqué dans votre calendrier ?
— Ne soyez pas bornée, Sue. Je comptais les faire dormir au Centre d’accueil des visiteurs, bien entendu… sauf que le bureau du personnel vient d’en attribuer tous les lits aux travailleurs journaliers.
— Ah bon ?
— Vu que les bus pour Constance ne peuvent pas sortir…
— Les bus ne peuvent pas sortir ?
— Vous avez passé les dernières heures dans un caisson d’isolation ou quoi ? La route est fermée au niveau du poste de garde. Aucun véhicule n’entre ni ne sort. Blocus complet.
— Depuis quand ?
— Le coucher du soleil, en gros.
— Comment ça se fait ?
— Allez savoir. Soit une menace plausible sur la sécurité, soit un exercice de plus. Tout le monde pense que ce sera réglé demain matin. Mais entre-temps, il faut que je loge ces gens quelque part. »
Ray Scutter aurait réagi à ce problème en entrant dans une fureur indignée qui n’aurait avancé à rien. Sue réfléchit. « Vous pourriez peut-être appeler la direction du site pour voir si elle consent à ouvrir le gymnase du centre de loisirs. Et à y installer quelques lits de camp pour la nuit. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— Génial ! La vache, j’aurais dû y penser moi-même.
— Dites que vous venez de ma part, si besoin est.
— Vous êtes une perle. Si je pouvais, je vous piquerais à Ray. »
— J’aimerais bien, pensa Sue.
Elle se leva, s’étira, s’approcha de la fenêtre et écarta les lames verticales du store. Derrière les toits des logements ouvriers et l’obscurité de la prairie inexploitée, elle distinguait à peine la route pour Constance et la pulsation sinistre des lumières des véhicules de secours au portail sud.
Marguerite Hauser remercia le destin bienveillant qui l’avait fait habiter une maison (même si c’était l’une des plus anciennes et des plus petites) au nord-est du campus de Blind Lake, aussi loin que possible de son ex-mari Ray. Ce trajet de dix minutes pour ramener Tess avait quelque chose de réconfortant, comme s’il remontait dans son dos un pont-levis jeté sur des douves.
Dans la voiture, Tess se montra aussi calme que d’habitude, voire un peu plus. Lorsqu’elles prirent des sandwiches au poulet au drive-in du centre commercial, elle ne s’intéressa pas au menu. Arrivées à la maison, Marguerite y porta la nourriture et Tess y traîna son fourre-tout. « La vidéo marche ? demanda d’un air absent la fillette.
— Pourquoi pas ?
— Marchait pas chez papa.
— Vérifie. Je vais chercher le couvert. »
Dîner devant le panneau vidéo restait une nouveauté pour Tess. Ray n’avait pas permis cette habitude. Il avait toujours tenu à ce que les repas soient pris à table : un « moment en famille » durant lequel il ne manquait jamais de débiter son catalogue quotidien de récriminations. Il n’y a pas à dire, pensa Marguerite, le dîner paraît plus agréable avec les téléchargements. Surtout les vieux films. Tess préférait ceux en noir et blanc : les vieilles automobiles et les vêtements bizarres la fascinaient. C’est une xénophile, pensa Marguerite. Elle tient ça de moi.
Mais le panneau vidéo de Marguerite s’avéra aussi inutilisable que celui de Ray, et elles durent se contenter du contenu de la mémoire résidente domestique. Elles arrêtèrent leur choix sur une comédie de Bob Hope vieille d’un siècle, La Brune de mes rêves. Tess, qui d’ordinaire aurait débordé de questions sur le XXe siècle et tenu à savoir pourquoi tout avait cet air-là, se contenta de manger sa nourriture du bout des lèvres sans quitter l’écran des yeux.
Marguerite posa la main sur le front de sa fille. « Comment tu te sens, chérie ?
— Je ne suis pas malade.
— Mais tu n’as pas faim.
— Faut croire que non. » Tess se rapprocha et Marguerite l’entoura de son bras.
Après le dîner, Marguerite rangea, changea les draps et aida Tess à trier ses livres de classe. Dans un moment d’optimisme, Tess zappa d’une chaîne de divertissements à l’autre et, n’obtenant que des écrans bleus, regarda une deuxième fois le film de Bob Hope avant d’annoncer enfin qu’elle allait se coucher. Marguerite surveilla son brossage de dents et la borda. Elle aimait la chambre de sa fille, avec sa petite fenêtre face à l’ouest, son lit recouvert d’un édredon à franges rosés, ses rangées d’animaux en peluche qui montaient la garde sur la commode. Cela lui rappelait sa propre chambre d’enfant, dans l’Ohio, il y avait si longtemps, mais sans les bien intentionnés volumes d’Histoires bibliques pour les enfants installés par son père dans le vain espoir de susciter en elle une piété ostensiblement absente. Tessa avait choisi elle-même ses livres et ses goûts la portaient plutôt vers la fantasy commerciale et la vulgarisation scientifique. « Tu veux lire un peu ?
— Je crois pas, répondit Tess.
— J’espère que tu te sentiras mieux demain matin.
— Je vais bien. Promis. »
Marguerite regarda par-dessus son épaule en éteignant la lumière. Tess avait déjà fermé les yeux. Elle semblait plus jeune que ses onze ans, avec ses joues rebondies et ce bourrelet de graisse de bébé sous le menton. Ses cheveux encore blond sale fonçaient. Marguerite supposa que de ce cocon d’enfance émergeait une jeune femme, mais les traits de celle-ci restaient indistincts, difficiles à prédire.
« Dors bien », murmura-t-elle.
Tess se blottit sous son édredon et enfonça la tête dans l’oreiller.
Marguerite ferma la porte. Elle regagna son bureau à l’autre bout du couloir, déterminée à abattre encore un peu de travail avant minuit. Chacun de ses chefs de service lui avait signalé des segments vidéo extraits des dernières vingt-quatre heures du Sujet, segments qu’elle devait revoir. Elle baissa l’éclairage et afficha les rapports l’un après l’autre sur son écran mural.
« Physiologie et Signalisation » se polarisait encore sur les lamelles pulmonaires du Sujet. « Le mouvement des lamelles pourrait indiquer une interaction sociale », proclamait le sous-titre. Il y avait un extrait du Sujet dans une assemblée au puits de nourriture. Il se tenait dans la lumière pâle et verte du puits de nourriture, où il semblait interagir avec un autre individu. Ses lamelles ventrales, des fentes blanchâtres flanquant sa chambre thoracique, frémissaient à chaque inhalation. Un comportement tout à fait normal, et Marguerite se demandait ce que les gens de « Physiologie » voulaient lui faire voir lorsqu’un nouveau texte défila sur l’écran. Les cils palpitent en un motif vertical distinct assez complexe pendant le comportement social Ah, un zoom dans un sous-écran. Les cils étaient de minuscules poils rosés, à peine visibles, mais ils bougeaient en effet comme un champ de blé caressé par le vent. On montrait en incrustation, pour comparaison, la respiration du Sujet en environnement asocial. Les cils se courbaient vers l’intérieur à chaque inspiration, mais sans ce frémissement vertical.
Potentiellement très intéressant, pensa Marguerite. Elle marqua le rapport d’une notification prioritaire, ce qui permettrait à « Physiologie et Signalisation » de le transmettre aux compilateurs pour analyse complémentaire. Elle ajouta quelques notes et requêtes (« Cohérence ? » « Autres contextes ? ») et renvoya le tout à Hubble Plaza.
Du groupe « Culture et Technologie », des copies d’écran de la dernière addition du Sujet aux murs de son logement. On voyait le Sujet, redressé de toute sa hauteur, ses jambes de soulèvement trapues tendues tandis qu’il se servait d’un bras de manipulation et de quelque chose qui ressemblait à un crayon pour ajouter un nouveau symbole (si c’en était bien un) à la chaîne ornant déjà les parois de la pièce. Celui-ci fut inséré dans une série de seize spires genre coquilles d’escargot de plus en plus grandes, et se termina par une fioriture. Cela fit penser Marguerite à ce qu’un gamin agité pourrait griffonner en marge d’un de ses cahiers. La conclusion logique en était que le Sujet écrivait quelque chose, mais on avait très vite établi que les barres, lignes, cercles, croix, points, etc., ne se répétaient jamais. S’il s’agissait de pictogrammes, le Sujet n’avait jamais écrit deux fois le même mot ; s’il s’agissait de lettres, il n’avait pas encore épuisé son alphabet. De l’art, alors ? Peut-être. De la décoration ? Possible. Mais « Culture et Technologie » pensait que cette dernière série laissait au moins penser à un contenu linguistique. Marguerite en doutait, et elle attribua au rapport une priorité qui provoquerait sa comparaison avec une douzaine de documents similaires par le bureau d’évaluation.
Le reste consistait en rapports d’activité expédiés par les comités et en deux brefs extraits que l’équipe chargée des relèvements pensait qu’elle aimerait voir : des vues de balcons, la ville s’étendant derrière le Sujet dans un après-midi pastel, rouge grès, couche sur couche, comme un empire de gâteaux de mariage rouilles. Elle enregistra ces images pour les regarder plus tard.
Elle eut terminé à minuit.
Elle éteignit le mur de son bureau et fit le tour de la maison en éteignant partout jusqu’à ce qu’une douce obscurité règne dans toute la maison. Le lendemain était un samedi : Tess n’avait pas école. Marguerite espéra que la liaison satellite serait rétablie au matin. Elle ne voulait pas que Tess s’ennuie à peine revenue à la maison.
La nuit était claire. L’automne arrivait vite, cette année. Marguerite alla se coucher les rideaux ouverts. Lorsqu’elle avait emménagé, l’été précédent, elle avait poussé son grand lit à deux places près de la fenêtre. Elle aimait regarder les étoiles avant de s’endormir, mais Ray avait toujours voulu garder les stores fermés. Elle pouvait désormais s’accorder ce plaisir. La lumière du croissant de lune tombait sur un récif de couvertures. Elle ferma les yeux et ne sentit plus son poids. Poussa un soupir et s’endormit.